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Auteur : Bernard DELOUPY – 2014
Texte extrait du livre « Le Produit à l’Honneur » de Denis Fétisson, Chef de La Place de Mougins
Grimper jusqu’à ce petit bourg médiéval, juché sur son mamelon, c’est déjà tutoyer l’histoire d’une humanité gourmande.
Face au panorama grandiose qui s’offre à nos regards, de la baie de Cannes aux contreforts de l’arrière-pays grassois, on comprend mieux pourquoi cet emplacement exceptionnel a séduit les hommes depuis l’âge du fer, près de quatre siècles avant Jésus-Christ. La sécurité d’un promontoire stratégique, des terres fertiles alentour, un ensoleillement insolent, une rivière et des sources à profusion accourues des Préalpes voisines, il n’en fallait pas plus pour fonder ce village considéré comme l’un des plus beaux de France. Une tribu ligure s’y établit jusqu’à ce que les Grecs y implantent la vigne et l’olivier. Par la suite, les Romains y installent un point de ravitaillement sur le tracé de la via Julia Augusta qui reliait l’Italie à l’Espagne.
Au Moyen-Age, sous le règne du roi René, souverain de Provence, une charte de franchise consentie par l’abbé de Lérins, seigneur des lieux, accorde aux Mouginois le privilège d’être jugés sur place. Attirés par cette protection, les bras vigoureux affluent, les éleveurs s’implantent, l’agriculture prospère et les moulins à huile fleurissent sur les rives de la Siagne.
En musardant jusqu’au village qui se love en colimaçon autour de son clocher, on se sera déjà imaginé dans un des prés dont les alentours sont prodigues, complantés d’oliviers à l’ombre desquels il faisait
bon faire la sieste, le nez dans les fleurs et un œil sur les chèvres broutant le thym et la sarriette. Et puis, passé les vestiges des fortifications du XVème siècle, ses portes défensives à mâchicoulis, ses remparts et ses campaniles, on est convié à une invitation au voyage en terre de gourmandise.
Au long des ruelles tortueuses aux murs et au pavement de pierre, les fumets s’échappant des cuisines racontent les traditions culinaires d’un terroir généreux. Les civets de lièvre aromatisés d’estragon des coll
ines et accompagnés de la polenta de maïs importée par les travailleurs piémontais. La traditionnelle pignate, marmite provençale en terre cuite où mijotait l’agneau de lait parfumé au romarin. Les brochettes de grives qu’on se dégustait entre amis, à la fin de la saison. Les brins de fenouil trempés dans le pissala, pâte à base de purée d’anchois. Les petites asperges des prés dont on se régalait en famille, après la promenade dominicale...
Le soir à la fraiche, sur les placettes ombragées où chante une fontaine moussue, tout en dégustant à petites gorgées la limonade à la menthe, on évoque les exploits de Célestin Véran, propriétaire du Grand
Couloir, un ancien moulin à huile, qui fit ses classes à Toulon et remporta en 1912 le prestigieux concours de cuisines des équipages de la Flotte. Après guerre, devenu marin-pêcheur, it transforma son bateau en taxi de la mer pour les riches Anglais. Au petit matin, il embarquait les touristes, ramassait les oursins, pêchait avec eux les ingrédients de la bouillabaisse qu’il préparait et dégustait au cabanon de l’île Sainte-
Marguerite. Un véritable festin que toutes les têtes couronnées, dont le duc de Windsor qui était devenu son ami, tenaient absolument à partager durant leur séjour hivernal sur la French Riviera. D’où le surnom de « Royal Tambouil » dont l’avaient affectueusement affublé les villageois.
On évoque encore avec fierté Lisnard, un enfant du pays, cuisinier à bord du Royal Louis, vaisseau de ligne du roi Louis XVI, qui aurait inventé la mayonnaise pour agrémenter les repas de l’amiral. On se remémore avec des airs entendus le célèbre aïoli de Fernand Bain. Et avec déférence les grands de ce monde qui, dans les années trente, honoraient la table du Golf Country Club Cannes-Mougins créé sous l’impulsion du Prince Pierre de Monaco, du baron de Rothschild et de lord Derby. On mentionne avec nostalgie les festins du VasteHorizon où Pablo Picasso et ses amis passèrent les vacances de 1936 à 1940 et où Louison Bobet et son équipe cycliste établirent leur camp d’entrainement. On se rappelle le restaurant créé après guerre par Girard, un élève d’Escoffier, devenu dès la fin des restrictions La Musarde de Béatrix Durand. « Montaient à Mougins » ceux qui fuyaient les trépidations du festival de Cannes. Le ro iLéopold de Belgique, le roi Farouk, l’Aga Khan, Paul Eluard, Maurice Chevalier y avaient leurs habitudes. On cite toujours avec émotion La Pax, le premier hôtel-restaurant du village où officia un chef Meilleur Ouvrier de France.
On se souvient en salivant des gibiers braconnés au furet dont madame Suche régalait ses hôtes au Saint-Basile. De la cuisine de ferme du Château de la Peyrière, reprise par monsieur Josse, un aubergiste du Cap-d’Antibes. Des plats goûteux de denise Donot aux fourneaux du Rendez-vous de Mougins , l’ancien Hôtel de France. De Nicolas Polverino et de Georgette qui créèrent dans la maison Pellegrin, Place Commandant Lamy, un restaurant où Mémé Jeanne préparait les plus délicieuses recettes mouginoises. Des repas chez Mestre Agard, au quartier Saint-Martin, un grand ami de son voisin le père de Charles Aznavour. De la création par André Surmain, flamboyant chef du Lutèce à New York, du Relais en centre-ville, puis du Feu Follet où sa fille et son gendre pratiqueront à sa suite une cuisine toute provençale.
On s’enorgueillit enfin de la reprise par Roger Vergé et son épouse Denise, en 1969, du Moulin de Mougins.
Trois étoiles Michelin viendront consacrer le talent du chef moins de cinq ans plus tard. L’école de la « cuisine du soleil » créée dans l’enceinte de sa deuxième adresse, L’Amandier de Mougins , formera
nombre de chefs prestigieux et contribuera à la notoriété mondiale du village. Au point que Le Moulin accueillera chaque année, à l’occasion du festival de Cannes, le gratin des stars du show-business, lors
du dîner de l’AMFAR, la fondation américaine de lutte contre le sida créée par Elizabeth Taylor.
Comptant plus d’une trentaine de restaurants et d’écoles de cuisine, la commune s’est imposée au fil des ans comme la capitale de la gastronomie et des arts de vivre. Ne fut-elle pas un temps le village le plus
étoilé de France, avec sept étoiles Michelin en 1992 ? Un prestigieux Festival International de la Gastronomie, Les Etoiles de Mougins, consacre depuis dix ans la commune, étape obligée des gourmets en terre d’Azur.
Après avoir cheminé entre les anciens fours à pain, pressoirs à huile, moulins à farines et caves à vin, nos pas nous mènent sur la place Commandant Lamy, face à la mairie où le restaurant La Place de Mougins –l’ex Feu Follet – perpétue en les réinterprétant les traditions culinaires du village. Mais il sera davantage question ici d’émotions artistiques que de nostalgie d’un passé défunt. La belle maison crème aux volets lavande donne le ton d’une élégance décontractée. Passé le seuil, teintes chaleureuses, matériaux sobres, lignes nettes et couleurs douces jouent la carte d’une modernité intemporelle. Aux cimaises, des tableaux et des lithographies rappellent que Mougins a toujours entretenu des liens étroits avec les muses grâce à son cadre exceptionnel et aux artistes qui s’y sont installés ; En 1924, Francis Picabia y pose son chevalet, communique son enthousiasme à ses amis et attire les plus grands, dont Pablo Picasso, encore inconnu, qui logera dès 1936 à l’Hôtel Vaste Horizon. Une nuit, pris d’une fièvre créatrice, il peint entièrement sa chambre que l’hôtelier, furieux, l’obligera à remettre en état avec une couche de blanc sur les murs... Pas rancunier, l’artiste se fixa définitivement au village où il passera les quinze
dernières années de sa vie. La réputation culinaire de Mougins n’était pas tout à fait étrangère à son engouement. Cocteau, Fernand Léger, Man Ray, Christia Dior, Yves Saint-Laurent y séjournèrent à sa suite.
Et ateliers d’artistes et galeries d’art alimentent toujours le mythe d’une inspiration renouvelée.